Vin Dieu ! Ma première bière sauvage, acide, « sour », naturelle … au vin nouveau !!

16 novembre 2018
Moût de pinot noir vin nouveau fermenté jus de raisin récolté 2018 - Expérience bière sauvage au vin nouveau - Brasserie du Vallon - Alsace

Du vin nouveau de pinot noir fermenté (jus de raisin local récolte 2018) … avec des bons ingrédients on fait de bonnes bières 😉

Hey salut, aujourd’hui, ça va être sauvage !

 

Cet article est destiné aux curieux mais aussi et surtout aux brasseurs de tous bords qui sont intéressés par les lambic, gueuzes, sour et autres bières acides de fermentation spontanée, naturelle …

Bref, c’est parti ! 😉

 

Une bière sauvage c’est quoi ?

Vaste question !!… Le souci ici c’est qu’il n’y a pas vraiment de consensus, que chacun utilise un peu le terme de son choix, et qu’un même terme peut désigner deux bières produites très différemment …

Pour rappel, voici un très bon article anglais, que j’ai traduit pour vous en français il y a plusieurs mois, à propos des levures sauvages, de leur capture, de leur culture et de leur utilisation (en brassage amateur).

Levures sauvages – capture, culture et utilisation en brasserie

 

Pour en revenir à notre question de base :

qu’est-ce qu’une bière sauvage ?

Il y a le terme générique et à la mode « sour » , qui veut simplement dire « acide » en anglais.

C’est un terme qui désigne donc un style de bière qui est redevenues très à la mode récemment, aux états-unis entre autre … et qui débarquent maintenant en puissance en France !

Il me semble aussi qu’une variante française de ce terme serrait « sûre » (nos amis québécois ??) …

J’ai déjà plusieurs fois entendu ce terme de « bière sûre », mais je ne suis pas certain de son utilisation.

Donc si jamais t’as des infos, laisse un commentaire !! Merci 😉

 

Sinon, il y a aussi les termes traditionnels belges lambic (aussi écrit lambiek je crois), faro et gueuze.

Ce sont leurs bières acides traditionnelles, de fermentation spontanée (grâce aux levures présentes dans l’air).

Souvent plutôt acides elles aussi, elles sont sauvages parce qu’elles fermentent grâce aux mêmes micro-organismes que les « sour » dont je parlais précédemment. 

Mais pour les bières que je fabrique, je préfère ne pas utiliser ces termes parce qu’ils désignent des produits locaux belges issus d’une tradition et d’un savoir faire unique, que je ne respecte pas vraiment avec mes bière sauvages :

  • refroidissement exposé à l’air dans un « coolship » (koelschip)
  • vieillissement looooong en fût ou en foudres (foeder)
  • assemblages de bières jeunes et vieilles
  • … etc.

 

Et pour finir, il y a encore le terme « bière naturelle » qu’on pourrait utiliser, pour reprendre la logique de l’appellation « vin naturel », qui désignerai une bière fermentée sans ajout manuel de cultures de levures pure et en acceptant le développement d’une flore bactérienne unique pour contribuer aux saveurs du breuvage. 

Mais c’est un peu ambigu comme terme je trouve.

 

En conclusion, je désigne donc mes bières acides avec le terme « bière sauvage » parce que c’est celui qui me semble le plus approprié à mes bières et à mes choix techniques. 

 

Ça te semble cohérent ? Et toi, comment tu désignerai ces bières acides ? 

Laisse un p’tit commentaire si t’as un avis sur la question ou si tu connais des termes que j’aurais oublié ! 

 

Pellicule levures sauvages brettanomyces lactobacilles - Expérience bière sauvage au vin nouveau - Brasserie du Vallon - Alsace

La magnifique pellicule créée par les levures sauvages (brettanomyces et lactobacilles) – Apparaît à la surface de la bière après quelques heures ou jours d’une fermentation sauvage

 

Ma définition d’une bière sauvage

Bref, pour ma part, une bière sauvage c’est une bière fermentée par des levures sauvages … Ou plutôt des ferments sauvages ! 

En effet, ces ferments peuvent être des levures, des bactéries ou bien souvent des populations hétérogènes de ces deux types de bestiolles.

Ces ferments naturels sont donc tous les micro-organismes autres que les traditionnelles levures à bière (Saccharomyces Cerevisiae ou Saccharomyces Pastorianus).

 

Mais il faut mettre ce terme « sauvage » entre guillemets parce que ces ferments ne viennent pas toujours de la nature (air, fruit, céréale, tonneau …).

En effet, il peut s’agir, et il s’agit même souvent (dans les brasseries pro), de ferments cultivés par un laboratoire et achetées sous forme de sachets, au même titre que nos classiques levures à bière !

Et dans ce cas là il s’agit généralement d’une espèce unique, pure. Ou alors d’un mélange de quelques espèces, mais rien à voir avec le cocktail un peu aléatoire de plusieurs dizaines d’espèces qu’on peut avoir avec d’autres sources de ferments.

 

Je tiens à préciser qu’à mes yeux, il n’y a aucun mal à utiliser ce genre de culture pure, même si ce n’est pas une méthode qui m’intéresse vraiment personnellement.

Il faut tout de même voir les bons côtés de ces cultures pures : il y a beaucoup moins de risques d’avoir des résultats imprévisibles, mauvais… et ça évite donc de parfois devoir jeter un brassin !

Aussi, ça te permet d’avoir un résultat reproductible et donc d’améliorer plus facilement ta recette à chaque itération. 

 

Mais avec les cultures pures on perd un peu l’aspect « sauvage » parce qu’il y a beaucoup moins de diversité de micro-organismes et qu’on contrôle tout.

Ce côté aléatoire des « vraies » levures sauvages apporte un élément de surprise à chaque brassin et force à rester humble en tant que brasseur parce qu’on ne maîtrise pas tout.

Et ça, ça me plait !

 

Bon, je crois que je vous ai assez saoulé avec mes définitions à rallonge, passons à la recette !!

 

moulin à malt et malts d'orge et de blé bière Vin Dieu - Expérience bière sauvage au vin nouveau - Brasserie du Vallon - Alsace

Allez hop, on moud tout ça et c’est parti pour le brassage !

 

Ma recette originale, au vin nouveau !

J’ai brassé dans un premier temps ~78L de moût (densité initiale 1,049 / couleur 10 EBC / amertume 0 IBU) :

  1. 16kg de malts infusés à 68°C pendant 1H30 – infusion plutôt chaude pour créer un moût plus difficilement fermentable (beaucoup de sucres complexes), dans l’espoir de conserver un peu de sucre lors de la fermentation, pour équilibrer l’intense acidité qui apparaîtra.

  2. Les malts choisis :

    • 65% de malt Pils – pour le goût et la couleur pâle
    • 25% de blé blanc – pour la rondeur et le trouble
    • 10% de malt Biscuit – surtout pour le goût !
        
  3. 0g de houblon pendant l’ébullition pour éviter l’effet antiseptique du houblon qui empêche très facilement la croissance des lactobacilles notamment.
      
  4. 55g de houblon Magnum infusé à 20°C pendant 7 jours pour apporter un peu de complexité et de saveurs en plus et arrêter (ou au moins ralentir) l’acidification en inhibant les lactobacilles.

 

Après avoir brassé mon moût et l’avoir refroidi un peu, j’y ai ensuite ajouté 22L de moût de pinot noir non pasteurisé et récolté il y a 24H environ à Wuenheim par les vignerons de la maison Bruckert. (cliques sur les photos pour les voire en grand)

 

 

Petite aparté, c’est ça qu’on appelle du vin-nouveau dans les régions viticoles : du jus de raisin fraîchement pressé !

On ne peut l’acheter que chez les récoltants et que quelques jours par an, pendant la récolte.

Il fermente naturellement et il faut donc le conserver au frais et le boire rapidement.

 

Une fois le mélange réalisé, je me suis retrouvé avec un total de ~100L de moût de densité 1,056 (= 145g de sucre/L).

Mais ce qui fait la particularité de cette bière c’est pas seulement ses ingrédients, mais aussi son processus de fabrication…

 

La fabrication de cette bière sauvage

Ça a commencé par le brassage d’un moût de bière blonde un peu malté et assez trouble d’après la recette ci-dessus.

J’ai décidé de faire une infusion du malt à température élevée pour obtenir beaucoup de sucre longs, en espérant que ces sucres ne soient pas consommés pendant la fermentation et apportent donc de la douceur en bouche pour compenser l’acidité.

Je voulais obtenir un moût pas trop sucré (= densité initiale moyenne), pour éviter d’avoir trop d’alcool à la fin et aussi pour avoir une fermentation relativement rapide…

Je voulais pouvoir proposer cette bière à la pression un mois plus tard !!! C’est super rapide pour une bière acide.

 

Ensuite je voulais faire un « kettle sour« .

C’est une technique populaire aux états-unis et qui tends à se démocratiser de plus en plus avec l’engouement du public pour les bières acides.

Il s’agit d’une acidification réalisée dans la cuve de brassage grâce à une fermentation lactique par des lactobacilles, qui produisent de l’acide lactique rapidement, à température contrôlée pour favoriser leur action et en l’absence d’oxygène pour empêcher le développement d’acétobacter (fabriquant du vinaigre…) et d’autres organismes non désirables.

Cette acidification durant généralement entre 24 et 48H est conclue par une ébullition longue du moût pour le stériliser avant de le faire fermenter avec des levures classiques de bière dans une cuve de fermentation normale.

 

Isolation de la cuve étanche fermentation sauvage kettle sour - Expérience bière sauvage au vin nouveau - Brasserie du Vallon - Alsace

Isolation de la cuve rendue étanche : fermentation en mode kettle sour un peu à l’arrache …

 

Mais finalement j’ai changé d’avis parce que le goût était très bon, et que la densité descendait rapidement, preuve qu’il n’y avait pas que des lactobacilles parmi les ferments présents dans ce vin-nouveau, mais aussi des saccharomyces et des brettanomyces naturellement présents, qui avaient pris le relais des lactobacilles pour continuer la fermentation alcoolique du moût.

Donc je n’ai pas fait bouillir, mais j’ai quand même ajouté une bonne dose de levures à bière au bout de trois jours, pour aider la fermentation à se terminer correctement et pour être sûr qu’une bonne dose d’alcool serait présente pour éviter vraiment tout risque de développement de pathogènes.

 

Si tous ces sujets t’intéressent … te passionnent autant que moi alors je te recommande clairement d’aller faire un tour sur cet article :

 

Mes deux livres de brassage préférés – techniques utiles et inspiration profondes 😉

 

Depuis que j’ai lu ces livres, j’avais tellement envie de faire des expériences de bières sauvages…

C’est chose faite maintenant ! Le début d’une belle aventure.

Et clairement, avec un peu de recule maintenant, les lire m’a donné de très bons outils et une très bonne compréhension des processus, pour réussir à faire quelque chose de bon, vite et bien du premier coup 😉

 

Bref, revenons à nous moutons !

 

Il faut savoir que le moût de raisin (jus obtenu suite au pressage) contient naturellement des micro-organismes qui étaient présents sur le raisin dans les vignes.

Parmi ces micro-organismes il peut y avoir de tout, c’est un peu la roulette russe. Mais il semblerai, d’après ce que j’ai pu lire sur internet, que ces micro-organismes sont principalement des lactobacilles (qui fabriquent certains yaourt et fromages) et des saccharomyces (levures « classiques ») justement !

Il faut toutefois savoir que les saccharomyces présentes naturellement sur les fruits et dans les jus non pasteurisés sont loin d’avoir les mêmes caractéristiques que nos levures de boulanger ou levures à bière qui, elles, ont été sélectionnées avec soin au fil des siècles par les brasseurs et les laboratoires.

 

Vin nouveau pinot noir fermenté - Expérience bière sauvage au vin nouveau - Brasserie du Vallon - Alsace

À peine quelques heures après l’avoir récupéré à la cave, même pas 24H après le pressage, le vin-nouveau fermente déjà bien !

J’ai décidé de contrôler ma fermentation pour favoriser autant que possible l’activité des lactobacilles et empêcher le développement de moisissures ou bactéries indésirables : 

  • Ajout de CO2 dans la cuve pour chasser l’oxygène et éviter le développement d’acétobacter (qui font du vinaigre…) et de tout autre organisme aérobie (consommant de l’oxygène) potentiellement nuisible 
  • Maintien de la température entre 35 et 40°C pour favoriser l’action rapide des lactobacilles, qui aiment la chaleur. L’objectif étant donc d’augmenter ainsi l’acidité très rapidement pour éviter le développement de micro-organismes indésirables

 

Dégustation de ma première sour

Ma "Vin-Dieu", ma toute première bière sauvage ! Un grand succès, acide, au vin nouveau, immortalisé par TopBeer lors du StrasBier Fest 2018

Ma « Vin-Dieu », toute première bière sauvage ! Un grand succès, acide, au vin nouveau, immortalisé par TopBeer lors du StrasBier Fest 2018

J’ai proposé cette bière au StrasBier Fest (excellent festival et mon tout premier gros événement !!) et je l’ai fait goûter gratuitement (un fond de ver) à toutes les personnes qui étaient curieuses. Il y en avait beaucoup !

Et puis surtout, je l’ai fait gouter à tous ceux qui voulaient m’acheter un verre, avant de leur servir un verre plein, pour éviter de gâcher. J’ai eu des retours très intéressants et surtout très variés !

 

Et là, ça dépend des personnes… J’ai jamais eu des retours aussi différents et parfois opposés !

Certaines de mes bières sont très typées donc soit elles plaisent, soit non (la Pâtissière par exemple).

Mais là, avec la « Vin-Dieu », c’était soit le coup de cœur, soit la grimace !

Très peu de gens sont restés indécis, j’ai fait fuir certaines personnes et j’en ai aussi vendu des pintes …

 

Avec les gens qui l’appréciaient j’ai été surpris par la diversité des retours :

  • très acide ou peu acide…
  • goût rappelant le cidre ou goût de vin discernable…
  • douce ou sèche …
  • saveur de bière absente ou subtile nuance équilibrée …

Bref, tout et son contraire, preuve s’il en fallait, que la dégustation est avant tout une affaire de subjectivité !

 

Pour ma part, je dirais :

Acide, fine en bouche, un peu sèche, très fruitée notamment sur l’attaque, acide, avec un petit goût de levure (style levain boulanger), trouble, j’ai déjà dit acide ?, peu de gout de vin, pas de goût de cidre, douceur de malt légère et saveurs maltées discernable surtout en arrière goût, texture plutôt fine et sèche mais aussi finalement assez doux sur la langue (acide lactique agréable), pas amer, pas astringente, pas « tannique ». Très complexe et plaisante à déguster. Manque de mousse (l’acidité aide pas à avoir une mousse persistante) et manque un peu de bulles à mon goût.

 

Conclusion sur cette première expérience 

À l’avenir j’en referais d’autres ! Mais la prochaine fois je vais essayer d’en faire vieillir 30L dans ma barrique en châtaigner qu’il me tarde de remplir (elle est belle ma barrique, hein ? 😉 ).

Mon nouveau fût en chataigner, du miel et des hydromels artisanaux - La Brasserie du Vallon

 

Aussi, j’ai déjà lancé deux expériences :

  1. laisser le vin nouveau fermenter tout seul, pour en faire un vin rouge naturel pour moi, juste par curiosité
  2. et faire fermenter un hydromel naturellement avec les ferments d’un vin nouveau blanc

 

… la suite bientôt ! 🙂 

A+

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  • […] Les amateurs de bière n’ont vraiment pas peur de l’originalité et des extrêmes : j’ai vendu des PINTES de Vin-Dieu ! (→ voir la recette ←) […]

  • Joël dit :

    Bonjour,
    Tout d’abord merci pour tout cet excellent contenu.
    Sur la question de comment appeler une bière fermentée avec des levures « du terroir », je parlerais de bière spontanée. D’abord j’aime bien l’idée de la spontanéité… Ensuite le qualificatif de sauvage n’est pas tout à fait cohérent avec le fait que malgré tout tu domestiques le process avec de la connaissance, de la pratique, du matériel, … qui n’ont rien de sauvage.
    Le qualificatif de « bière naturelle » ne fonctionne pas je trouve parce qu’il n’y a pas assez de levure sur le grain d’orge pour permettre une fermentation aussi puissante que sur le raisin, d’où la domestication/sélection multi-séculaire des souches de levures de brasseurs. J’adore l’idée que ces levures sont comme les poules les chats ou les chiens: le résultat d’une interaction avec l’homme sur des durées très longues.
    Sur l’idée de combiner moût de raisin et moût de bière, je trouve très intéressant et je ferai un essai à la saison prochaine avec un chasselas de ma connaissance… Par contre je prendra le parti-pris inverse: je ferai tout pour éviter une trajectoire lactique, avec la question de : y-a-t’il assez de levures dans le moût de raisin pour fermenter le mélange ?
    Suspense…

    Take care.

    • Bonjour,

      Merci pour ce sympathique commentaire 🙂

      On est d’accord, choisir un terme adapté pour parler de ce type de bière est une épineuse question… La fermentation « spontanée » c’est bien comme terme et on l’entends beaucoup dans le vin comme dans la bière. Mais je dois dire que ce terme ne me plait pas totalement parce que ça induit un peu les gens en erreur, biologiquement c’est faux, la fermentation n’est pas spontanée, elle ne vient pas de nulle part mais bien des levures endogènes, « sauvages » car naturellement présentes sans notre intervention. Enfin bref, c’est un débat sans fin !

      Pour répondre à ta question, quand j’ai fait cette bière en fermentation « sauvage », inoculée initialement avec 20% de mout de pinot noir d’Alsace qui avait déjà commencé à fermenter (vin-nouveau), et bien les levures endogènes n’avaient pas vraiment suffit à fermenter jusqu’au bout. En tout cas pas assez rapidement pour moi. Pourtant mon moût de bière n’était pas très fort en sucres. Du coup met peut-être 25 ou 30% de moût de raisin si tu veux que la fermentation dure pas trop longtemps.

      Et pour éviter la fermentation lactique, reste bien sous 20°C pour la fermentation, ils préfèrent les températures au dessus de 30°C, et ajoute un peu de houblon pour avoir au moins 10IBU dans ton volume total (moût d’orge + moût de raisin), ça inhibe bien les lacto 😉

      N’hésite pas à venir partager le résultat de ton expérience ici, j’suis curieux de savoir ce que ça aura donné !

      A+
      Have fun

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